DES ROIS ET DES DIEUXI. Un sentier sous les arbres verts En 971, j'étais le Lieutenant Blad Demeci, de la Garde Républicaine. 4 ans après ma première mission sur Corellia, j'avais gagné en grade. A seulement 25 ans, je dirigeais déjà mon équipe sur le terrain. Nos opérations et enquêtes nous envoyaient bien souvent dans les quartiers difficiles des Bas-Fonds de Coruscant, là où ma vie de citoyen Républicain avait débuté. A cette époque, je suivais donc pleinement mon objectif de rendre la vie meilleure dans cette ville. La journée, je bottais le train des délinquants, et le soir je retrouvais les bras réconfortants de ma femme. Ma vie semblait toute tracée, les étoiles avaient l'air de s'aligner enfin en ma faveur. Bien sûr, plusieurs années plus tard, tout s'effondra. Mais en 71, je n'en avais pas la moindre crainte.
Jen m'offrait le bonheur dont tout homme rêvait. J'avais des collègues sympas, qui me respectaient pour mon travail ainsi qu'en tant qu'ami. La vie commençait à sentir très bon, même si les cas que je gérais dans le cadre de mon métier n'étaient évidemment pas toujours les plus agréables. Ce que je faisais était bénéfique à la société, j'en étais persuadé. Et ça, ça m'aidait énormément à oublier les galères passées. L'exil de Mandalore, tout comme les longues semaines endurées à me fondre parmi la pire racaille de ce monde.
Puis, un jour, une mission extérieure me fut donnée. Cette fois-ci, pas d'enquête à mener, pas de criminels à mettre sous les barreaux, juste une escorte. Bien entendu, pour que les dirigeants de la police sollicitent mon groupe, la personne à protéger ne devait pas être n'importe qui. L'ordre de mission évoquait en fait un Chevalier Jedi Consulaire. Ce dernier terme m'était étranger, toutefois je savais tout de même à quoi ressemblait un Jedi, car je vivais non loin du temple sacré de leur ordre. De plus, l'histoire des Mandaloriens était liée à ces moines guerriers, par endroits. L'empire formé par les Néo-Croisés, des lustres auparavant, avait notamment été décimé par les Jedi de la République.
Néanmoins, si je devinais les capacités hors normes des Jedi, je n'en avais jamais eu la démonstration réelle. En soi, il y avait peu de chances que cela arrive au cours de ce voyage diplomatique, mais là encore je n'étais pas au bout de mes surprises. Déjà lors de ma toute première rencontre avec Keyda Fell, au moment de monter à bord du vaisseau censé nous emmener jusqu'à Naboo, notre destination prévue, elle me fit forte impression. Le Chevalier Fell était une Twi'lek à la peau violacée, qui disposait de tous les charmes bien connus de ses congénères, élégamment dissimulés sous sa bure cultiste. Elle avait à peu près mon âge, pourtant une sagesse immense se dégageait de son aura, comme si elle ne vivait que pour son devoir, totalement détachée de ses envies personnelles.
Pendant le voyage, je fus amené à lui parler un peu, ne serait-ce qu'au cours du repas préparé par le personnel de bord. Il fallait dire que je m'attendais à ce qu'elle se cloître dans sa cabine jusqu'à notre arrivée, pour prier ou je ne sais quoi d'autre. Or, la native de Ryloth avait décidé de se mêler à celles et ceux qui la protégeaient. D'entrée, elle gagnait quelques points honorables, mais mon respect n'était pas encore totalement acquis.
"Je suis ravi de vous voir attablée avec nous, Chevalier Fell.
- J'accorde autant de crédit à la solitude qu'à la fraternité. Ici, en l’occurrence, l'esprit de groupe ne peut que nous être bénéfique.
- Bien d'accord : sous serment ou pas, il n'y a rien de mieux qu'un peu de convivialité entre les gens pour instaurer de la fidélité.
- On m'avait dit qu'un homme d'honneur serait en charge de ma protection, je suis heureuse de constater par moi-même que c'est bien le cas." Poursuivit-elle chaleureusement.
"Disons que je me rachète au fil du temps... Aussi, je dois dire que je suis curieux d'en apprendre un peu plus sur vous, les Jedi. Vous semblez vivre un peu à l'écart du monde, dans votre temple, même si vous dévouez votre vie aux autres. C'est un peu paradoxal d'ailleurs, non?
- Maintenir un lien sain avec la Force est rude pour l'esprit. L'exigence de cette vie est énorme, mais son utilité est ultime. Les Jedi peuvent paraître distants par moment, j'en suis désolée.
- Ce que nous faisons aujourd'hui, ce voyage, c'est tout de même plus utile que de méditer dans un temple, à l'abri de tout... Pardon, mais c'est ce que je pense, très franchement. Après, vos histoires de Force et d'esprit, ce n'est certainement pas mon sujet de prédilection..." Achevais-je.
Elle avait esquissé un sourire, pendant que mes camarades de la Garde nous écoutaient silencieusement, globalement amusés de voir leur meneur débattre de cette manière, avec un être quasi-mystique à leurs yeux.
"Votre franchise est honorable, Lieutenant. Cela me change des courbettes et des balbutiements, pour tout vous dire.
- C'est pas le genre de la maison, en effet.
- Vous avez un feu puissant en vous, cela vous sera utile tout au long de votre vie. La plupart des Jedi pensent que les gens comme vous, avec cette rage intérieure qui sommeille au plus profond, sont dangereux. Pour d'autres, dont je fais partie, tout dépend de ce que vous en faites. Je ne vois personnellement aucun mal à défendre ardemment un idéal, tant qu'il sert la bonté et la justice.
- Moi qui croyais que votre truc c'était juste la paix et les petits oiseaux qui gazouillent..."
Son sourire s'élargit davantage.
"Nous apprenons diverses choses au temple. Le sabre laser n'est pas toujours là que pour faire joli, vous savez...
- Oui, et l'Histoire le raconte mieux que quiconque. N'est-ce pas?" Dis-je, un brin taquin.
"Je ne sais pas, seuls les témoins des âges anciens sont vraiment légitimes dans ce cas, il me semble.
- Sans doute, alors cela fait de nous les détenteurs de notre propre histoire. La vérité nous appartient toujours.
- Nous ne sommes en effet que des passagers du temps. Tout voir demeure impossible, mais vivre l'instant présent, là où nous nous trouvons... Ça, c'est détenir sa propre histoire." Avait-elle ajouté, d'un air tout à fait noble.
Les autres gardes à table étaient bouches bées. Ils ne s'attendaient pas à tant de répondant et de philosophie de ma part, sans doute. Quelques minutes plus tard, chacun retournait à son poste. Nous n'étions pas là pour bavasser toute la journée, non plus. J'avais d'ailleurs mis en place un roulement dans les tours de garde, afin que tous les membres de l'équipe puissent se reposer un minimum au cours de cette petite croisière. C'est que, durant mon propre tour, Keyda revint à ma rencontre.
"Toujours pas de méditation?"
Lui demandai-je avec sympathie, sans cesser ma marche rythmée dans les dédales du vaisseau.
"Ce qui réside en vous m'empêche de me concentrer.
- Ah..."
Une phrase qui aurait pu sonner d'une manière bien douteuse dans la bouche d'une autre personne. Heureusement, les Jedi étaient chastes, tandis que moi j'étais un homme marié et comblé.
"Et vous ne pouvez pas... Arrêter de sonder les gens, comme ça?" Demandai-je simplement.
"Je préfère plutôt comprendre la source de ces émotions si particulières.
- Ouais, sauf que là je travaille...
- Vous ne fuirez pas éternellement le problème, Lieutenant Demeci.
- Et vous, vous ne lâchez jamais l'affaire, hein?"
Elle croisa ses mains dans son dos, puis fixa son regard sur ma visière, comme si elle voyait l'éclat de mes yeux à travers cette protection quasiment opaque. Je n'avais donc d'autre choix que de céder.
"Ok, ok... C'est bon, j'accepte de parler un peu.
- Très bien, nous ne pourrons que nous en sentir mieux après ça.
- Si vous le dites..."
S'ensuivit le déballage de mon récit. Keyda Fell m'écouta attentivement, m'encourageant à poursuivre lorsque je prenais une pause pour respirer. L'heure passa à une allure incroyable. Seule Jen prenait du temps pour moi de cette façon, habituellement. Quelque part, libérer mes mots, mon histoire, à une personne quasi-étrangère, avait un effet relativement soulageant. La Twi'lek savait écouter, en tout cas. Lorsque mon récit s'acheva, elle le comprit immédiatement et se chargea d'enchaîner, sans laisser un silence éventuellement pesant s'installer entre nous :
"Aujourd'hui, vous semblez avoir trouvé votre voie Lieutenant.
- Je pense être fait pour ça, oui.
- Mais vous savez comme moi, qu'à un moment ou à autre, vous devrez vous confronter à ce lourd passé...
- Ouais... Peut-être quand j'aurai un enfant. Je ne sais pas trop, je me dis que ce genre d'événement ressemble au 'bon moment', comme on dit.
- Fonder une famille change les individus. Les Jedi craignent aussi ça, si on peut dire, surtout parce que l'amour rend le comportement intelligent irrationnel... Mais dans tous les cas, vous seul pouvez savoir ce qui sera assez puissant pour recoller les morceaux de votre vie. Votre cœur vacillera toujours tant que ça ne sera pas fait. Vous le savez maintenant. Et je le sens...
- Hm... Pour une fille de couvent, je dois admettre que vos conseils sur la vie sont plutôt avisés, Chevalier."
Nos rires résonnèrent à l'unisson à travers les murs du bâtiment spatial. Enfin, un de mes compagnons en armure bleue vint à notre rencontre, me signalant qu'il prenait mon tour de garde immédiatement. Un salut plus tard, j'enlevais mon casque pour toiser directement la Jedi dans les yeux. La sérénité qui se dégageait d'elle était encore plus impressionnante sans entrave oculaire.
"Merci de m'avoir écouté." Déclarai-je avec sincérité.
"Je vous en prie, c'était aussi instructif pour moi-même, pour ne rien vous cacher.
- Certes. Je peux vous poser une question?
- Bien sûr.
- Vous n'en avez pas marre, parfois, de vous battre pour les autres?"
Une fraction de seconde, le regard de la jeune femme se perdit sur le sol immaculé. Lorsqu'elle renoua le contact visuel, elle rétorqua sans trembler :
"Défendre les autres, c'est également se défendre soi, à travers nos convictions les plus profondes. Dans la Force, la vie est un tout, chaque être est connecté. Amis ou ennemis, il n'y a en fait aucune différence.
- Et pourtant des gens meurent à cause d'autres.
- On ne peut pas l'empêcher. Par contre, notre devoir est de faire en sorte que ces actes fous ne se reproduisent plus jamais, à l'avenir."
Ce fut le mot de la fin de cette longue conversation. Après ça, je suis retourné dans ma propre cabine, afin de me glisser dans une tenue bien plus décontractée. En repensant à tout ce que nous nous étions dit, je me mis à imaginer le point de vue de mon père. Je le revoyais comme si c'était hier, furieux, les poings salis de mon sang. Son regard noir, terrible, gêné par ses cheveux sauvages, qui me transperçait d'une lueur pleine de colère. Alors, je l'imaginais répondre à la brave Keyda Fell, de sa voix rocailleuse et brutale :
"Les Jedi sont des assassins comme les autres ! Seulement, eux, ils se dissimulent leurs crimes derrière le symbole du bien !"
Bien sûr, il n'avait jamais rien dit de tel. Cependant, je ne pouvais m'empêcher de croire qu'il était effectivement capable d'une telle phrase. Il rejetait toute idée de construire l'univers sur la paix. Cela pouvait paraître assez lucide, de prime abord. Toutefois, lorsqu'on allait plus loin dans la discussion, on se rendait vite compte des sombres idées qui se cachaient derrière ce discours. Hank Demeci rêvait d'une galaxie à feu et à sang, à travers laquelle il pourrait exprimer toute sa violence sans la moindre pudeur. J'étais heureux, à présent, de connaître au moins une personne qui était exactement le contraire de lui. C'était assez rassurant, disons.
Le Chevalier Fell était incroyablement pure, sincère et juste dans ce qu'elle exprimait. J'aurais aimé que les membres de mon clan la rencontrent, ne serait-ce que pour apprendre d'elle la sérénité, ainsi que le vrai sens de la droiture. Le code Mandalorien n'était qu'une façade exploitée par des êtres sanguinaires, justifiant des massacres au nom de la tradition. Les Jedi, eux, me donnaient l'impression, de suivre leur credo avec une exemplarité hors pair. Leur comportement pouvait paraître un peu hors sol par moment, mais n'était-ce pas là le meilleur moyen de prendre les choses avec un maximum de recul, au final? Prendre de la distance avec ce qu'il y avait de plus sombre incombait des inconvénients, mais aussi des avantages.
Obtenir la paix intérieure n'était jamais simple. Les Maîtres de l'Ordre Jedi l'avaient compris depuis très longtemps. C'était pour ça qu'ils décelaient leurs futurs apprentis dès la naissance, voire même avant parfois, comme me l'avait expliqué Keyda Fell. En extrayant les futurs Jedi de la société au plus tôt, ils les façonnaient de A à Z, dans l'espoir qu'ils deviennent des êtres naturellement bienfaisants. Les Jedi pouvaient alors se frotter aux méandres de la vie sans aucune crainte ni aucun doute, pleinement convaincus de leur chemin, même dans la brume ou l'obscurité. Évidemment, avec tout mon lot de souvenirs tortueux, je n'étais pas capable de les imiter. Ma route était déjà jonchée d'obstacles dès le départ, et le rejet définitif de ma famille avait logiquement enfoncé le clou. Je me devais donc de trouver un autre chemin à présent, moins sinueux et plus sûr. Un sentier sous les arbres verts, où Jen pourrait me guider sans peine, malgré ses propres blessures...